mercredi 27 janvier 2010

Tranche de vie, parfum fraise


Pour inaugurer cette nouvelle rubrique "Contes et Légendes", je reprends un texte déjà connu par certains puisque je l'avais écrit, à la base, à l'occasion du concours "Flûte Alors!" organisé au printemps 2009. Pour rester dans les règles édictées dans ce cadre, j'avais dû me restreindre et couper en de nombreux endroits la première ébauche de ce récit... Le voici donc, plus complet, et légèrement retouché, petit morceau d'histoire qui n'a d'autre prétention que celle de m'avoir procuré le plaisir de l'avoir écrit, et c'est déjà pas mal ^^




Tranche de vie, parfum fraise


La saveur était bien plus sucrée que de coutume. Ça avait pourtant la couleur des fleurs de kalyptus dont il appréciait tant le pollen et qui poussaient à foison dans l'opulente vallée des Koalaks… Mais de ce côté-ci des Montagnes, il n'en avait encore jamais vu. Il aurait probablement dû se douter qu’en trouver en un tel lieu était suspect... Dubitatif, il goûta encore, du bout de la trompe, la substance gélatineuse. La trouvant décidément bien trop étrange, il finit par s’éloigner, léger et virevoltant, à la recherche de mets plus conformes à ses habitudes.

Oxalya suivit des yeux le vol gracile du papillon, comme hypnotisée par cette valse fragile. Les grandes ailes aux reflets d’ambre dansèrent un long moment au-dessus de la cime des arbres avant qu’elle ne les perde finalement de vue dans le soir déclinant. Quelque part sur sa gauche s'éleva le chant un peu rauque et envoûtant des grues que les villageois avaient l'habitude d'observer, nichées dans la canopée. Elle détacha finalement son regard de l'horizon, avec un soupir, puis s'appliqua à lécher, non sans gourmandise, les traces de gelée de fraise qui restaient sur ses doigts, seuls vestiges du pot que lui avait offert deux jours plus tôt un voyageur de passage.


Elle plissa les yeux, tentant de se remémorer le nom de son généreux pourvoyeur de sucreries, dessinant du même coup sur son front une armée de vaguelettes. Mama lui aurait sûrement dit, façon mère poule, l'index accusateur et l'oeil sévère quoi qu'empli de tendresse, de ne pas rider ainsi son visage, mais Oxalya n’en avait cure : le temps n’avait plus d’emprise sur elle. Plus depuis qu’elle avait rejoint la Communauté, sa nouvelle famille. Cela faisait maintenant un bon demi-siècle qu’elle avait treize ans. Poitrine à peine naissante, peau de bébé, fossettes espiègles, tignasse d’onyx perpétuellement indomptable et grands yeux gris-bleu toujours émerveillés malgré des années de bourlingage. Sa démarche féline et assurée surprenait plus d’un étranger, trompé par son apparence juvénile. Ce dont, bien sûr, elle aimait jouer, en digne chipie qu'elle était - du moins selon les dires de Mama.

Elle fronça un peu plus les sourcils, deux doigts appuyés sur chacune de ses tempes, triturant sa mémoire. Rien à faire, ça ne voulait pas revenir. Elle balaya sa contrariété d’un geste. Peu importait le nom, elle saurait le reconnaître à sa prochaine visite. Car il avait promis de revenir. C’était un élégant Panda à la fourrure claire et soyeuse, et malgré les flasques de bière qui dépassaient de sa besace, et la répulsion qu’elle éprouvait pour les boissons alcoolisées, la Brigandine l’avait tout de suite trouvé sympathique.

Il était arrivé un soir après une énième rixe sur la plate-forme ouest, qui dominait le village perché dans les arbres. Oxalya ne s’en inquiétait plus, ces épisodes violents étaient monnaie courante, et, d’expérience, elle savait bien que les vainqueurs, quel que soit leur clan, ne s’en prenaient jamais à eux. Elle ricana. Ces prétendus anges aux ailes blanches qui se croyaient plus purs que les autres… Pour elle, c’étaient tous les mêmes. Ils débarquaient seuls ou en petits groupes, détruisaient une fois de plus les ingénieux automates défensifs que ses compagnons mettraient plusieurs heures à reconstruire, puis repartaient vers d’autres horizons, profitant de leurs remarquables inventions volantes parfois sans même un remerciement, sans même un regard, ou bien, quand ils daignaient poser les yeux sur eux, avec un mélange de mépris et d'incompréhension.


Une chose était sûre : peu d’entre eux s’attardaient dans le village, ignorant ses habitants. Lui, en revanche, avait pris le temps de s'arrêter, de chercher à la connaître, de discuter... et même de jouer aux osselets avec des vertèbres de chafer. La Brigandine avait tout de suite été sous le charme. Elle avait porté un œil moins bienveillant sur la grande bringue ténébreuse qui accompagnait le beau visiteur, sentant une pointe de jalousie à l’encontre de leur complicité et des regards tendres que se lançaient la Sacrieuse et son compagnon. Pourtant elle avait fini par l’apprécier aussi, avant de s’endormir à l’écoute de leurs récits enjoués ou terrifiants, autour du petit feu qu'ils avaient improvisé devant sa hutte. A son réveil, il ne lui restait plus que cette douce et épaisse cape posée sur ses épaules en guise de protection contre le froid. Eux n'étaient plus là...

Le regard d’Oxalya se perdit dans le vague. Tandis que le crépuscule approchait, une légère brume montait peu à peu du sol, recouvrant la plaine jusqu’aux montagnes proches, et reflétant avec douceur les couleurs chamarrées du soleil couchant. Ce fut Arti qui la tira finalement de sa rêverie : un grand spectacle était prévu ce soir et il avait besoin de son aide pour préparer une myriade de fées virevoltantes. Elle se leva prestement, rajusta vaguement sa tunique, resserra autour d'elle la cape fraîchement offerte, et le suivit immédiatement, ravie de la fête imminente et la tête déjà dans les explosions lumineuses qui ponctueraient la soirée.

Elle laissait derrière elle, sur le ponton de bois, un pot de gelée vide...



2 commentaires:

  1. *Clap Clap*
    J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce RP, c'est vraiment bien ecrit et c'est avec plaisir que je decouvre la version integrale.

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  2. Vraiment sympa, très beau RP.

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